Au cours des dernières années, Éthique Animale a travaillé en faveur de la promotion de productions académiques sur la situation des animaux sauvages, en portant une attention toute particulière aux travaux susceptibles d’améliorer significativement leur bien-être. L’année dernière, nous avons participé au financement de la recherche de Jara Gutiérrez, biologiste et titulaire d’un doctorat en sciences du bien-être animal. Il s’agit d’un projet de recherche postdoctoral portant sur l’impact des incendies sur les animaux sauvages à l’Université autonome de Madrid.
Les incendies nuisent aux animaux sauvages de nombreuses façons, et il est important de reconnaître comment cela les affecte ainsi que les opportunités dont nous disposons pour réduire ces dommages. Le manque de recherche au sujet du bien-être individuel des animaux sauvages est inquiétant, de sorte que des publications comme celle-ci sont particulièrement importantes afin que nous puissions commencer à inverser cette situation.
Cette recherche peut s’avérer utile afin d’éclairer de potentielles mesures politiques et de concevoir de nouveaux protocoles visant à venir en aide aux animaux pendant et après les incendies. Notre enthousiasme autour de cette recherche s’explique également par le fait qu’elle a le potentiel d’encourager de futures recherches à ce sujet. Nous avions déjà publié quelques travaux sur ce problème ici :
Aider les animaux en cas d’incendie et de catastrophe naturelle
Les animaux et les catastrophes naturelles
Nous sommes très heureux de vous annoncer que le travail de Jara Gutiérrez est maintenantterminé. Nous publions ici un rapport comprenant une revue de la littérature de plus de 400publications de Gutiérrez sur les dommages causés aux animaux par les incendies de forêt etsur la manière dont nous pouvons leur venir en aide. Elle a également soumis un article pourpublication dans une revue de biologie, disponible ici :
Nous tenons à remercier nos généreux donateurs de nous avoir permis de financerd’importants projets comme celui-ci. Cela a été possible grâce à une subvention de l’EA Animal Welfare Fund Votre soutien a également été vital afin de permettre cette recherche etde contribuer à un futur plus clément pour tous les animaux. Si vous souhaitez voir davantagede travaux de ce type, nous vous invitons à envisager de soutenir notre travail.
L’étude peut être téléchargée ici. Ci-dessous, vous pouvez lire une explication plus détaillée du projet de recherche de Jara Gutiérrez à l’Université Autonome de Madrid :
La vie des animaux sauvages est loin d’être idyllique. Il existe en réalité des causes majeures de souffrance animale dans la nature, comme par exemple les incendies de forêt. Les incendies d’origine naturelle et humaine peuvent causer de graves dommages aux animaux vivant à l’état sauvage. Les incendies montrent une tendance croissante à brûler des superficies de plus en plus grandes (Doerr & Santín 2016), ce qui suggère une tendance à des incendies de forêt moins fréquents mais plus importants (Westerling 2016), tendance qui devrait se poursuivre dans les années à venir.
Lors de l’évaluation des conséquences des incendies, l’attention se porte presque uniquement sur les incendies aux coûts élevés et/ou sur ceux qui ont des impacts parfois tragiques sur les vies humaines (Yell 2010). De plus, les études évaluant l’impact négatif des incendies sur les animaux se concentrent souvent non pas sur les animaux sauvages mais sur les espèces domestiques et les animaux d’élevage, principalement par intérêt économique.
Les recherches actuelles ont permis de recueillir des preuves scientifiques de la sentience de nombreux animaux, y compris les animaux sauvages. Parce que de nombreux animaux sont capables de percevoir les situations difficiles dans lesquelles ils se trouvent, les incendies peuvent constituer une menace pour le bien-être des animaux sauvages.
Da manière générale, un incendie est un événement stressant pour les animaux : il déclenche des réponses physiologiques, endocriniennes et comportementales dues à l’adaptation évolutive à la survie. Outre les dommages physiologiques, l’incendie peut aussi entraîner de l’inconfort, de la peur et de la détresse chez les animaux.
L’étude de la façon dont les incendies de forêt affectent les animaux – directement et indirectement, à court et à long terme – peut s’avérer complexe. Il peut y avoir des variations importantes selon les espèces dans les zones concernées et les environnements dans lesquels elles évoluent, ainsi que selon les caractéristiques des incendies. À ce jour, la recherche sur la biologie du bien-être et sur la surveillance et l’évacuation des animaux sauvages menacés lors d’incendies est cruciale afin d’améliorer notre compréhension de la manière dont les animaux sont affectés et dont nous pouvons les aider, ainsi que pour encourager des interventions et des recherches supplémentaires à ce sujet.
Cette revue de la littérature vise à résumer les principaux effets négatifs des incendies sur les animaux sauvages et à proposer des améliorations dans la conception de futures interventions. La méthodologie consistait à évaluer les articles et revues scientifiques les plus pertinents sur le sujet, dans le but de faire une révision suffisamment ample fondée sur la littérature existante tout en tenant compte des défis physiologiques, psychologiques et éthologiques que les incendies de forêt représentent pour les animaux.
Ce projet de recherche est important pour plusieurs raisons: (1) il peut permettre de mieux comprendre comment la vie des animaux sauvages est affectée par l’une des menaces auxquelles ils sont confrontés, en utilisant les connaissances recueillies dans les études écologiques; (2) il peut constituer la base de la conception de futurs protocoles de sauvetage des animaux ou de prévention des dommages; (3) il peut contribuer à soulever des préoccupations quant à la situation des animaux sauvages en tant qu’individus; et (4) il peut aider à développer des travaux sur la biologie du bien-être en identifiant de futures lignes de recherche prometteuses à ce sujet.
La façon dont les animaux réagissent au feu dépend de nombreux facteurs, notamment leurs propres expériences passées, les adaptations évolutives au feu et les styles d’adaptation individuels au stress, en plus des caractéristiques mêmes du feu.
La première réaction à l’incendie consiste à prendre la décision de fuir ou de rester dans la zone en feu. Ce comportement dépend de chaque espèce, de leurs conditions environnementales et de leur mobilité. Alors que certains individus tentent de fuir les flammes, en nageant ou en courant anxieusement, d’autres tentent de se réfugier dans des terriers qu’ils hésitent à quitter. Certains petits mammifères ont été vus fuyant les flammes en portant sur leur dos leurs petits, les yeux encore clos. En revanche, d’autres individus, généralement de plus grands mammifères, continuent de se nourrir tranquillement à quelques mètres des flammes.
En fuyant, les animaux peuvent faire face à une exposition accrue aux prédateurs, à un plus grand risque de mortalité dû à une faiblesse physique et à des collisions avec des véhicules. Comprendre les mouvements des animaux en réponse à un incendie peut aider à établir des zones clés pour les actions de sauvetage et d’apports en nourriture. Par exemple, les bords du feu peuvent représenter des zones d’intervention capitales.
Qu’ils fuient ou qu’ils restent dans la zone en feu ou dans des abris, les températures environnementales extrêmes dues à l’incendie prédisposent les animaux à un stress thermique aigu, ce qui provoque de nombreuses altérations physiologiques, telles que l’hyperventilation (Radford et al. 2006), la déshydratation (qui peut endommager les organes), la perturbation du métabolisme lipidique, la réduction du cholestérol plasmatique et des phospholipides, l’augmentation de la quantité de graisse dans les selles (O’Kelly 1987) et le stress tissulaire (Islam et al. 2013). Les effets du stress thermique s’aggravent lorsqu’ils sont accompagnés de brûlures sur les membres, les pieds et les pattes, produites par des surfaces chaudes pendant l’incendie.
En plus des perturbations physiologiques, des altérations du comportement ont été également signalées en réponse au stress thermique, y compris une perte de coordination, qui à son tour augmente le risque de désorientation et de chute (Radford et al.2006), rendant difficile la fuite, ainsi qu’une augmentation des comportements liés au stress (Debut et al. 2005). Dans l’ensemble, le stress thermique aigu génère de la détresse et de la douleur chez l’individu : il peut même lui être fatal.
Certaines mesures proposées pour prévenir le stress thermique aigu consistent à fournir des fontaines d’eau potable et à manipuler soigneusement les animaux secourus (les garder dans l’obscurité, sans exposition potentielle au stress, dans une boîte bien ventilée, leur offrir de l’eau, etc.).
Outre le stress thermique aigu, les blessures et autres dommages physiologiques sont fréquents pour les animaux victimes de catastrophes naturelles comme les incendies, ce qui peut entraîner des taux de mortalité élevés. Bien qu’il n’y ait actuellement aucune estimation précise du nombre d’animaux qui meurent chaque année dans les incendies, la mortalité post-incendie est à ce jour quantifiée par des estimations directes, soit au moyen d’un logiciel (Jeffers et al. 1982; Silveira et al. 1999b), soit en se fondant sur de récents rapports estimant la densité des populations animales antérieures à l’incendie.
De plus, une intensification de l’activité prédatrice post-incendie a été signalée (Parkins et al. 2019a), ce qui augmente le risque de mortalité des proies (Rickbeil et al. 2017). Des blessures telles qu’une faiblesse musculaire ou une insuffisance respiratoire peuvent augmenter le risque de prédation, car un prédateur sera plus susceptible de chasser un animal affaibli et désorienté.
Lors des incendies, les animaux affectés nécessitent une intervention spécifique, ce qui présente également de nombreux défis. Il est nécessaire de fournir de la nourriture aux individus affamés ainsi qu’une assistance médicale aux animaux blessés ou malades. Par exemple, des camps in situ provisoires équipés de générateurs électriques et de fournitures médicales suffisantes pourraient être mis en place pour traiter et donner les premiers soins à ces animaux. Des zones d’alimentation et d’hydratation peuvent également être facilement aménagées le long des espaces naturels concernés.
Pour les individus qui nécessitent une période de réadaptation en captivité avant leur réintroduction, certaines recommandations doivent être envisagées :
Premièrement, l’évaluation vétérinaire doit inclure un premier diagnostic des brûlures, des blessures et des maladies antérieures de l’individu. Des facteurs tels que la profondeur, l’étendue et l’emplacement des brûlures et des blessures détermineront la réadaptation et les chances de survie de l’animal.
Deuxièmement, une supplémentation nutritionnelle spécifique peut être fournie aux animaux sauvages, car leurs besoins métaboliques varient lorsqu’ils sont malades ou blessés.
Troisièmement, l’enrichissement de l’environnement par de nouvelles structures, de la stimulation visuelle/auditive/tactile/gustative, de la stimulation cognitive et de l’exercice devraient être fournis aux animaux sauvages pendant leur captivité : en effet, ce sont-là des éléments essentiels à leur bon rétablissement.
Les individus remis avec succès pourront être relâchés dans la nature. Les individus relâchés pourront être surveillés afin d’évaluer l’efficacité des processus de réhabilitation post-incendie, qui pourront être ajustés afin d’améliorer les efforts d’intervention futurs (Muths et al. 2014) et pour examiner de plus près les impacts des incendies (Engstrom 2010).
La prise en compte progressive des animaux non-domestiqués dans les plans d’évacuation lors d’incendies est aussi viable que cruciale pour le bien-être des animaux sauvages. Les interventions doivent être améliorées, d’autant plus que l’augmentation des activités humaines affectera potentiellement l’environnement naturel ainsi que la qualité de vie des animaux sauvages.
Il sera nécessaire d’éviter toute souffrance, détresse et gêne potentielles durant les captures, les opérations de sauvetage, la proximité humaine et la manipulation. Des efforts doivent être fournis pour réduire le caractère envahissant des procédures d’évacuation et de soins.
Une application plus efficace des plans d’évacuation pourrait réduire la confusion en ce qui concerne l’assistance aux animaux concernés. Fournir au public une information cohérente sensibilise et permet une collaboration plus efficace entre le public et les bénévoles. Par exemple, des approches multidisciplinaires à travers les progrès technologiques et la participation des médias sont essentielles à l’échange d’informations et à l’organisation, efficace et rapide, des interventions.
De même, des recherches supplémentaires sont nécessaires sur des sujets tels que le bien-être à long terme (après un incendie), les plans d’évacuation, la façon dont les animaux détectent et réagissent au feu (psychologiquement et physiologiquement), la compréhension des feux de forêt, etc.
À ce jour, les études scientifiques sur les défis que représentent les incendies pour le bien-être animal n’ont pas été profondément développées. Les données sur les effets du feu sur les animaux sauvages tendent à rapporter des altérations du règne végétal et l’influence qui en résulte sur la nourriture, le camouflage, l’abri et l’habitat utilisés par diverses espèces animales (Lyon 1978), mais sans évaluer en profondeur les effets néfastes que les incendies ont sur les individus.
La revue actuelle a fait face à un manque d’études quantitatives évaluant systématiquement les effets nocifs des incendies sur les animaux sauvages, y compris par exemple la surveillance des animaux affectés. De plus, bien que la variation de la nature des incendies soit l’un des principaux problèmes lorsque l’on tente de généraliser les effets du feu sur les animaux sauvages (Lyon 1978), il n’existe à ce jour aucune catégorisation des conséquences en fonction des caractéristiques mêmes du feu.
De nos jours, les incendies se produisent avec une intensité et une fréquence de plus en plus élevées. Par conséquent, les animaux sauvages ne peuvent pas s’adapter pour fuir le feu et survivre. Les réponses des individus dépendent de nombreuses circonstances, y compris les caractéristiques du feu, les expériences de vie individuelles, le type de gestion des réserves énergétiques quotidiennes de l’espèce en question et les stratégies individuelles d’adaptation au stress. Les incendies peuvent augmenter les risques de blessures, de maladies, de stress et de mortalité pour les animaux sauvages, entraînant ainsi de sérieux dommages physiologiques et psychologiques, des expériences de souffrance, d’inconfort et de douleur et des conséquences néfastes à long terme.
Les animaux sauvages peuvent bénéficier d’un sauvetage, d’une réhabilitation et d’un relâchement efficaces pendant les incendies, et la surveillance après la remise en liberté doit en évaluer le succès avec précision. Les informations qui en résultent peuvent être utilisées pour former les vétérinaires, les bénévoles, les rééducateurs et le public à la prévention des souffrances du plus grand nombre d’animaux possible lors d’incendies futurs, ce qui profite au bien-être des animaux.