Nouveau livre en français : réflexion autour d’arguments sur le spécisme et la considération morale des animaux non humains

Nouveau livre en français : réflexion autour d’arguments sur le spécisme et la considération morale des animaux non humains

28 Apr 2017

Plus tôt dans le mois, les Presses universitaires de Rennes ont publié Peter Singer et la libération animale : quarante ans plus tard qui comprend un chapitre rédigé par l’activiste d’Éthique Animale Eze Paez, dans lequel il analyse de manière critique l’ancien point de vue de Peter Singer sur la nuisibilité et la mort.

Il s’agit d’un ouvrage collectif discutant du point de vue de Peter Singer quant à nos obligations morales envers les animaux non humains et de l’évolution de son point de vue au cours des quatre décennies passées depuis la publication de son ouvrage phare La libération animale en 1975. L’ouvrage est le résultat de la conférence La libération animale, quarante ans plus tardt qui a eu lieu à l’université de Rennes en mai 2015. Il a été édité par Émilie Dardenne (université de Rennes), Valéry Giroux (université de Montréal) et Enrique Utria (université de Rouen), qui ont chacun également rédigé leurs propres chapitres. Par ailleurs, le livre contient des contributions de Peter Singer, Thomas Lepeltier, Jean-Yves Goffi (université de Grenoble), Tatjana Višak (université de Mannheim), Lori Gruen (Wesleyan University) et Jean-Pierre Cléro (université de Rouen).

Dans le chapitre qu’il a rédigé, Eze Paez explique qu’initialement, Peter Singer défendait l’idée que la mort n’était nuisible qu’aux seuls individus capables de se projeter dans le futur (à l’image de la plupart des humains et de certains non humains) et que ceux-ci avaient un intérêt à vivre. En effet, il pensait auparavant que la mort était préjudiciable pour un individu uniquement lorsqu’elle contrariait le désir de celui-ci de continuer à vivre. De plus, P. Singer arguait qu’un tel désir ne pouvait porter que sur la partie de son futur que l’individu en question pouvait anticiper. Habituellement, les êtres humains possèdent des capacités cognitives qui leur permettent de se projeter dans le futur, de sorte que leur intérêt à vivre couvre à tout moment ce qu’il leur reste à vivre. La mort leur est nuisible en ce qu’elle les prive de leur futur dans son entièreté.

aepic28D’après P. Singer, d’autres animaux possèdent des capacités plus limitées de se projeter dans l’avenir : la mort leur est nuisible en les privant uniquement de cette partie de leur futur couverte par leurs capacités psychologiques. Supposant qu’il existe des êtres sentients qui ne peuvent anticiper le futur de quelle que manière qu’il soit — ils sont enfermés dans le présent pour toujours —, le point de vue initial de P. Singer était que la mort ne pouvait en aucun cas leur porter préjudice.

À l’inverse, si l’on accepte l’idée que ce qui est bon et mauvais pour un individu ne dépend pas de ses désirs (satisfaits ou insatisfaits), mais uniquement d’expériences positives et négatives, la mort porte atteinte à tous les individus sentients ayant un avenir d’expériences positives nettes.

Eze Paez remarque cependant que, ces dernières années, l’opinion de P.Singer a évolué et il admet désormais que la mort est préjudiciable à tous les êtres sentients. En effet, il ne pense plus que ce qui est bon ou mauvais pour nous se résume à ce que nos désirs soient satisfaits ou non, mais que nous avons des expériences positives et négatives. P. Singer a présenté son changement de point de vue dans l’ouvrage The point of view of the universe: Sidgwick and contemporary ethics (non traduit en français), coécrit avec la philosophe Katarzyna de Lazari-Radek et publié en 2014. Ce changement de point de vue a incité P. Singer à réfléchir de nouveau à la mort des animaux non humains et à admettre que la morte porte atteinte à tous les animaux sentients.

Eze Paez évoque toutefois d’autres objections sur des aspects philosophiques à l’ouvrage de P. Singer et K. de Lazari-Radek.

Tout d’abord, dans The point of view of the universe, K. de Lazari-Radek et P. Singer ne parviennent pas à déterminer si l’intérêt d’un individu à continuer à vivre doit être évalué en fonction du temps ou indépendamment de lui. L’intérêt d’un individu à continuer à vivre, lorsqu’indépendant du temps, est aussi fort que la valeur de son futur. Un intérêt se voit défini en fonction du temps lorsqu’il est aussi fort que cette valeur nette minorée par les changements psychologiques qui auront lieu chez l’individu entre le moment de sa mort et les différents moments de son futur. Ainsi, un individu doté d’une psychologie moins intégrée possède un intérêt moindre à vivre qu’un individu ayant une psychologie plus intégrée, même si les futurs de chacun de ces individus sont de même qualité. Si l’on accepte que les animaux non humains sont généralement moins concernés psychologiquement par leur futur qu’un être humain moyen, cela signifierait que leur intérêt à ne pas mourir est plus faible que celui d’un humain, même lorsque la vie future qu’ils perdent à la même valeur.

Eze Paez soutient que dans un souci de cohérence, P. Singer doit admettre que l’intérêt à vivre des individus sentients est indépendant du temps. Si deux individus sont privés par la mort d’un futur qui leur aurait été bon de la même manière, ils subissent un préjudice similaire. Que l’un d’entre eux ait une capacité de projection dans l’avenir plus importante ou une psychologie plus intégrée ne peut pas être pris en considération. Par ailleurs, P. Singer devrait également opter pour une explication impersonnelle de la nuisibilité de la mort.

Ainsi, d’après le nouveau point de vue de P. Singer, nos raisons de ne pas tuer d’animaux non humains et de les empêcher de mourir sont aussi fortes que celles de ne pas tuer des adultes humains moyens dans des circonstances similaires.

Ces nouvelles considérations ne changent pas réellement nos obligations morales envers les animaux exploités, puisque la plupart ne mènent pas de vie bonne pour eux. Nous devons éradiquer ces pratiques d’exploitation, car ces animaux mènent des vies de souffrance. Toutefois, cela implique que refuser d’aider les animaux sauvages en les empêchant de mourir et en leur assurant des vies de valeur est aussi aberrant que de ne pas aider des humains dans des situations semblables.